En bibliothéconomie, l’enfer est une section où sont conservés les livres qu’on ne souhaite pas mettre à disposition du public … ou de manière plus souple et pour ce qui nous concerne, qu’on ne souhaite pas mettre entre toutes les mains.
Une politique d’acquisition à réfléchir
Il peut être utile de réfléchir à cette bibliothèque (presque) interdite au CDI. En effet, il faut trouver le juste équilibre entre la protection des sensibilités de certains et la non censure, tout en proposant évidemment uniquement des livres adaptés pour tout ou partie du public accueilli en adéquation avec la protection des mineurs. C’est tout l’objet de la politique d’acquisition. Alors pourquoi ne pas inclure dans cette dernière la réflexion sur la mise à disposition de documents réservés à un public averti ?
Proposer un fonds adapté et protéger les mineurs
Notre responsabilité professionnelle
La circulaire de mission des professeurs documentalistes l’indique clairement : nous sommes « responsables du CDI, du fonds documentaire, de son enrichissement, de son organisation et de son exploitation ». Cela induit de proposer un fonds adapté à notre public. Nous avons également comme mission de protéger les mineurs que nous accueillons. L’objectif n’est bien évidemment pas de se censurer, mais de s’assurer qu’aucun élève ne soit heurté par une ressource mise à disposition qui ne lui serait pas adaptée. Eu égard à la diversité des élèves accueillis (sensibilités, âge, maturité, recul, besoins spécifiques, etc.), il convient de savoir gérer au mieux les ressources mises à disposition, dont les livres « sensibles ».
S’informer pour choisir et conseiller
Lire les livres « sensibles » avant leur mise à disposition au public semble judicieux. C’est cela qui nous permettra de déterminer s’ils sont appropriés à notre public et donc de la pertinence de les acheter. De plus, le fait de lire ces livres « sensibles » nous permettra de conseiller au mieux les élèves qui souhaitent les lire. Nous pourrons leur prodiguer les meilleurs conseils en les informant avec précision de ce que contient ce livre.
En cas de doute ou de question sur un livre, il est toujours possible d’échanger avec nos collègues au sein de l’établissement (dont les professeurs de Lettres). De même, il ne faut pas oublier les revues professionnelles et la communauté des professeurs documentalistes avec qui on peut échanger via des listes de discussion, des forums, etc. Et évidemment, il faut penser à nos amis libraires.
Gérer les livres « sensibles »
Je le répète, par livres « sensibles » au CDI, nous entendons évidemment des livres dont la lecture est réservée à partir d’un certain âge ou dont le traitement du sujet peut heurter certaines sensibilités, mais qui, en même temps, demeurent appropriés pour des élèves (a fortiori mineurs). Ce peut être le cas de livres qu’on juge violents, des sujets qui peuvent heurter des sensibilités, des romances, etc.
Alors concrètement, comment faire pour mettre à disposition ces livres ? Voici plusieurs possibilités classées de la plus intégrée à la plus contrôlée.
Intégrer les livres au fonds documentaire avec une étiquette d’avertissement
Il s’agit de mettre à disposition les livres de manière normale. Seulement, lorsque l’élève consulte le livre, il trouve une mention sur la première de couverture (ex : « Lecture réservée aux bons lecteurs [ou indiquer des niveaux de classe, des âges] », « Attention : sujet sensible [ou difficile] [indiquer le sujet] », etc.). On peut aussi insérer une gommette, un bandeau rouge, une icône « attention », etc. en indiquant évidemment à plusieurs endroits du CDI, sur les étagères notamment, ce que signifie cette signalétique. Il est aussi possible d’inclure cette mention dans la fiche du livre dans le logiciel documentaire (ex. : « Livre pour public averti » qu’on indique au tout début du résumé). Il est également possible de créer une catégorie spécifique dans le portail documentaire (utile pour les élèves à la recherche de ce type de contenu).
L’inconvénient est que le livre est facilement accessible à tout moment par n’importe quel élève qui peut alors consulter sur place le livre, même si celui-ci n’est pas approprié pour lui.
Créer un rayonnage spécifique
Il est possible de mettre en place un rayonnage spécifique (ex : « Sujets sensibles [ou difficiles] », « Public averti », etc.). L’avantage est que les livres sont intégrés dans le fonds documentaire au même titre que les autres livres, mais qu’ils sont clairement identifiés comme réservés à un public averti. Cela est très intéressant pour les élèves friands de ce genre de lectures. De plus, cela nous permet d’avoir un oeil sur qui scrute cet espace et cherche à consulter l’un de ces livres.
Après, soyez conscient que ce côté (presque) « interdit », formalisé par une étagère séparée, va attirer les convoitises …
Créer un espace « livres à demander »
Ici, il s’agit de ne pas mettre les livres en accès libre ; on contrôle totalement leur mise à disposition (soit par réservation, soit par demande spontanée de l’élève). On se rapproche pleinement de la définition originelle de « l’enfer » d’une bibliothèque. Ce choix peut être fait pour des livres qu’on souhaite vraiment ne laisser qu’entre des mains averties, à des élèves pour lesquels on sait qu’ils ne seront pas choqués, ou pour des livres qu’on souhaite réserver à des travaux accompagnés d’un adulte.
Si on opte pour ce fonctionnement, les questions à se poser sont : les livres sont-ils vraiment adaptés à mon public si je suis obligé de les « cacher » ? Ne suis-je pas dans une forme d’autocensure ou manqué-je de confiance envers les élèves pour procéder ainsi si les livres sont vraiment adaptés ?
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